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Mauvais Élève: Episode 4 - En français, s’il te plaît

Onze enfants sont alphabétisés en français à Schifflange. Un projet à l'avenir incertain.

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23 min

Julio Ils font beaucoup d'allemand et un peu de français. Et nous, on fait beaucoup de français et un peu d'allemand.

Fred Keup Avec ce système, on va avoir des sociétés parallèles. On aura une fragmentation de l'école publique et on ne mènera plus que des vies parallèles.

Laetitia Maillard Je pense qu'il est bien pire de faire des ghettos d'échec scolaire que des ghettos entre guillemets francophones.

Pia Oppel En automne 2022, onze enfants ont commencé à apprendre à lire et à écrire en français à l'école Nelly Stein de Schifflange. Ce n'est pas la première tentative de ce genre. Dans les années 70 déjà, on expérimentait avec l'alphabétisation en français. Je vous en ai parlé dans le deuxième épisode de ce podcast.

Cette fois, l'approche est différente à bien des égards. Le contexte aussi. À l’époque, il n'y avait pas encore d'écoles internationales publiques qui mettaient la pression sur le système scolaire traditionnel. Mais cela signifie-t-il que le projet pourrait avoir plus de succès cette fois-ci ? C’est la question centrale de cet épisode.

Mon nom est Pia Oppel. Je suis journaliste pour radio 100,7.

Dans ce podcast, je vous raconte l'histoire d'un mauvais élève. Il s'agit de notre système scolaire, qui se démarque peu en comparaison avec les équivalents internationaux.

Un système scolaire dans lequel on essaie encore et toujours de faire échouer moins d'enfants.

Un petit rappel: Cette série en 6 épisodes a été publiée dans sa version originale en 2022.

Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Épisode 4: En français s'il te plaît.

Pour Sarah Scholtes, tout a commencé par un appel. En mars 2022, juste avant les vacances de Pâques. Le directeur régional de son école est au téléphone et lui demande si elle est prête à participer à un projet pilote en septembre.

Sarah Scholtes J'ai été très surprise au premier moment, je ne veux pas le cacher, et je n'ai pas dit oui tout de suite.

Pia Oppel Pourtant, l'idée n’avait rien de nouveau pour Sarah Scholtes. En 2019, l’enseignante avait elle-même posé la question: s’il ne fallait pas proposer aussi une alphabétisation en français à son école.

Sarah Scholtes Et j'ai demandé à la direction de l'époque si c'était une possibilité d’essayer ça et élaborer un concept. Mais j'ai reçu un "non" clair et net.

Pia Oppel Mais maintenant, c’est oui. Sarah Scholtes a deux jours pour se décider. Il est vrai qu’elle a déjà assez de projets. A côté de son métier d’enseignante, Sarah Scholtes est en train suivre une formation en gestion scolaire. En plus, elle ne sait pas combien de temps sera nécessaire pour le changement de l’allemand vers le français.

Sarah Scholtes Je travaille depuis 15 ans, dont 9 ans au Cycle 2. Ça crée des automatismes, des routines, et je dispose tout simplement d’un tas de matériel. Donc, mes armoires sont remplies de matériel pour alphabétiser en allemand.

Je me suis finalement dit qu’on en avait déjà parlé pendant si longtemps et qu’on se plaignait du fait que l'allemand ne puisse plus être la seule option. Et d'une certaine manière, je me suis dit que si personne ne se lançait dans un essai, on n’aurait pas non plus l'occasion d’en dégager une expertise.

Pia Oppel Sarah Scholtes se jette donc dans l'eau glacée.

Sarah Scholtes Aujourd'hui nous sommes vendredi 14 octobre. Et demain nous serons samedi 15 octobre.

Sarah Scholtes Donc, tout d'un coup, on m’a dit: voilà, Mme Scholtes fait ça. Et c'est comme ça, à présent. Et bien sûr, l'impact sur l'école est énorme. Il y a eu des doutes, il y a aussi eu des critiques.

Pia Oppel Mais Sarah Scholtes n'a pas l'air d'une personne qui se laisse rapidement dérouter. Elle sait prendre sa classe en main. Si bien que d'autres enseignants envoient parfois les élèves plus turbulents dans son cours pour quelques heures.

Sarah Scholtes décide donc de prendre en main le projet pilote aussi rapidement que possible. Avant les vacances d'été, elle va visiter deux écoles publiques internationales. Car depuis quelques années déjà, des enfants, qui auparavant étaient souvent dans une “Spillschoul” luxembourgeoise, y sont alphabétisés en français.

Sarah Scholtes C'étai t l'une de mes premières questions: est-ce que quelqu’un peut nous aider ? Puisqu’il y a des écoles européennes et internationales dans notre pays. Quand on lance un tel projet pilote, on doit pouvoir compter sur cette expérience. Et il était évident qu’il fallait travailler avec Differdange.

Laetitia Maillard Vous l'avez chanté, la chanson d'escargot?

Sarah Scholtes Non.

Laetitia MaillardAh, alors on a deux chansons d'escargot

Laetitia Maillard a Kanner [sangen] Petit escargot, porte sur son dos ...

Laetita Maillard Je suis Laetitia Maillard. Je suis enseignante de formation et à l'EIDE je suis attachée à la direction et coordinatrice du primaire sur le site de Differdange.

Pia Oppel EIDE, c'est l'Ecole internationale de Differdange et Esch, que vous avez rencontrée dans l’épisode précédent.

Laetitia Maillard a Kanner [sangen] Trala, trala, tralalalala ...

Laetitia Maillard Ma mission est donc d'accompagner le projet au sens large et en particulier à l'école de Schifflange. Donc là, il y a vraiment un accompagnement pédagogique, c'est à dire que j'ai, on va dire, partagé les documents, les supports, les méthodes que j'utilisais.

Laetitia MaillardQuelqu'un a envie d'être le chef d'orchestre? Qui ne l'a pas encore fait?

KannerMoi, moi, moi!

Laetitia Maillard Je vais faire Amstragram. Amstramgram, Pic et pic et colégram, amstragram.

Laetitia Maillard Lorsque je suis présente, j'essaie de prendre la classe parce que je me dis c'est un apport au niveau de la langue, de la culture. C'est quand même ma langue maternelle, c'est ma culture. Donc j'apporte aussi beaucoup de bagage culturel, les histoires, les comptines, les chants, et cetera. C'est beaucoup plus facile pour moi, évidemment, et c'est aussi ça que je veux partager avec Sarah, parce qu'elle est pédagogue. Elle est enseignante. Donc les méthodes d'enseignement, je dirais qu'elles sont indépendantes de la langue. Après, les supports sont différents, évidemment, et la langue dans laquelle on s'exprime est différente.

Et on dit un grand merci à Sarah pour la préparation des cahiers.

Kanner Merci!

Sarah Scholtes Et ass gär geschitt.

Sarah Scholtes Au début, ça m'a vraiment rassuré quand elle était là. C'est exactement ce dont on avait besoin. À un moment donné, je pense que ce sera moins nécessaire, mais pour le moment, cet échange est extrêmement utile.

Pia Oppel Sarah Scholtes avait deux conditions pour participer au projet. L'aide extérieure est une chose. Et l’autre était ...

Sarah Scholtes ... que je voulais avoir un mot à dire sur qui participe dans l’équipe. Je pense qu'un tel projet pilote ne peut que fonctionner si une bonne équipe travaille ensemble.

Pia Oppel Celaa semble être une demande banale. Mais ce n’est pas le cas dans le système scolaire luxembourgeois. Je vais ouvrir une brève parenthèse ici. La question centrale qui se pose ici est la suivante: qui décide quel enseignant prend en charge quelle classe et quelles matières dans quelle école ? En bref, la réponse est: les enseignants eux-mêmes. Les règles peuvent varier d'une commune à l'autre, mais le principe reste le même. Celui qui a le plus d’ancienneté dans le métier a le droit de faire son choix en premier.

Sarah Scholtes En fait, ce changement de postes, c'est compliqué. ça inquiète toujours les enseignants. Le choix se fait en mai, juin, et à partir du deuxième trimestre, on remarque déjà que certaines personnes deviennent nerveuses, parce qu'elles ont peur de perdre leur place dans l'équipe. Pour moi, il est important que les gens qui travaillent bien et sont motivés puissent continuer à faire leur travail dans l’équipe. Puisqu’on est en train de construire quelque chose.

Pia Oppel Un risque bien connu du système de l’ancienneté est que les enseignants ayant le moins d'expérience professionnelle se retrouvent souvent avec les postes les plus difficiles.

Sarah Scholtes Je pense qu’on a tous déjà fait face à cela. Et je pense qu'on doit toujours se demander pour qui on travaille réellement. On est censés travailler dans l’intérêt des enfants. Ça commence avec le choix de la classe et ça continue avec le planning des heures de cours. Je pense que dans la plupart des écoles du pays, on continue à tenir à notre système d’ancienneté. A mon avis, c'est tout simplement dépassé. Il nous faudrait un changement qui serait dans l’intérêt des équipes et des écoles.

Pia Oppel À Schifflange, c'est le directeur régional, qui a le dernier mot. La motivation et les compétences des enseignants sont décisives, pas l’ancienneté. L'une des vaches sacrées que défendent les syndicats d'enseignants dans le système scolaire a donc été abattue dans ce cas.

Retournons au cours de français, où les enfants sont en train de chercher la lettre A dans leurs nouveaux cahiers.

Pia Oppel Quelle est la signification de ce qui commence aujourd'hui ?

Sarah Scholtes C'est le tout premier son qu'ils apprennent. C’est-à-dire qu’on a surtout travaillé la conscience phonologique ces dernières semaines.

Un peu plus simplement, quel mot correspond à quelle lettre, et aujourd'hui, le premier son, le A.

Pia Oppel C'est un moment historique, non ?

Sarah Scholtes N’est-ce pas? En fait, oui. (rires)

Laetitia Maillard Tu marques l'histoire? J'ai dit aux enfants qu'ils étaient les stars du Luxembourg. C'est la preuve que c'est possible. Parce que nous on a le même public que Schifflange, c'est pas forcément des enfants français, tu vois. Donc c'est la preuve que ça peut fonctionner et que notre méthode peut être utilisée dans d'autres écoles.

Pia Oppel A Schifflange non plus, l'alphabétisation en français n'est pas réservée aux enfants qui parlent déjà parfaitement le français. Effectivement, il n'y a que deux enfants francophones dans le projet pilote. Une élève parle arabe. Huit élèves sont lusophones. Leurs parents sont originaires du Portugal, du Brésil et du Cap-Vert. La plupart d'entre eux ne connaissent pas encore très bien le français. J'ai remarqué cela pour la première fois en parlant de football avec deux élèves, Samuel et Santiago.

Pia Oppel Du, spills du och Fussball Samuel?

Samuel Jo, ech sinn an ee Club.

Pia Oppel A wat maacht Dir do?

Samuel Ech kann Dir dat just op Franséisch soen. On apprend à jouer au foot.

Santiago Wat hien huet gesot?

Pia Oppel Wat huet hie gesot? So nach eng Kéier.

Samuel On apprend à jouer au foot, weess de?

Pia Oppel On apprend à jouer au foot. Mir léiere Fussball spillen.

Santiago Ech hu scho geléiert!

Pia Oppel Santiago n'aime pas qu'on lui dise qu'il a encore des choses à apprendre pour jouer au foot. Mais quand Sarah Scholtes lui demande de parler en français, il est moins sûr de lui.

Sarah Scholtes Allez, nous comptons ensemble. Viens près de moi. Komm hei bei mech. Ceux qui portent une casquette.

Santiago Eent, zwee.

Sarah Scholtes En français s'il te plaît

Santiago Un, deux, trois, quatre, cinq.

Pia Oppel Le choix des élèves qui peuvent participer au projet pilote a été fait par l'école. Ce ne sont pas toutes les familles qui ont été invitées à participer. Bien que peu d'enfants à Schifflange parlent le luxembourgeois ou l'allemand chez eux . Le directeur régional et les enseignants de la “Spillschoul” ont examiné les compétences linguistiques et l'environnement linguistique de chaque enfant. Et comme l'explique Sarah Scholtes, une des questions était par exemple ...

Sarah Scholtes ... quelle est la langue d'intégration des parents? Est-ce que c'est le français ? Est-ce que les parents pourraient mieux se débrouiller en français et soutenir davantage leurs enfants dans leurs études ?

Pia Oppel En octobre 2022, donc un mois après le début du projet, Sarah Scholtes a en tout cas l'impression que le choix du français pour les onze enfants de sa classe est le bon.

Sarah Scholtes Il est trop tôt pour tirer des conclusions. Après ces dernières semaines, je dois dire que j’ai l’impression de parler beaucoup plus de français en classe que je ne parlais allemand en classe auparavant, parce que la plupart des enfants comprennent déjà énormément.

Pia Oppel À l'école Nelly Stein, il y a deux premières années d’école primaire pour la rentrée 2022. Une seule est alphabétisée en français.

Julio Ils font beaucoup d'allemand et un peu de français. Et nous, on fait beaucoup de français et un peu d'allemand.

Pia Oppel Tu trouves ça bien ?

Julio Euh ... Oui.

Pia Oppel Et Julio trouve qu'il y a une autre différence entre les deux classes.

Julio Nous, on travaille, hein ? Et eux, ils ne font rien.

Pia Oppel Pourtant, Julio sait très bien que les enfants de la classe parallèle font la même chose que lui la plupart du temps. En effet, les enfants des deux classes sont mélangés dans les matières secondaires. Le but est d'éviter qu'une séparation complète entre les deux filières linguistiques ne se crée. La langue d’enseignement des matières communes est le luxembourgeois. Même en cours de codage, où les enfants sont censés apprendre à penser stratégiquement grâce aux briques Lego.

Sarah Scholtes A la fin, ils ont fait ce que je vous avais montré. J’ai dit; vous pouvez aller encore plus haut. Tout simplement en retournant une brique. Et vous auriez même pu oser en retourner une autre.

Oui, je pense effectivement qu’au moins officiellement, on parle plus de luxembourgeois qu'avant. Et pendant les premières semaines, je trouve ça très bien quand le groupe est mélangé, parce que tous les jours, ils se racontent les uns les autres ce qu'ils ont fait pendant la journée. Et du coup, on a cette langue commune.

Pia Oppel Il s’agit donc d’une approche différente de celle utilisée dans les années 70 par Edith Jacobs et Karin Elsen. Vous vous souvenez peut-être de cette constatation dans le deuxième épisode.

Edith Jacobs Ce qui était un inconvénient pour moi, c'est qu'ils n'apprenaient pas le luxembourgeois, c'était ça l'aspect négatif à mon avis.

Pia Oppel Mais une question me semble toujours source de confusion. Dans les années 70, les enfants devaient quitter les classes françaises pour retourner dans le système normal en quatrième année d'école primaire. Ce qui n'a pas fonctionné.

Othon Neuens Pour le français, c'était bien, mais pour une intégration ultérieure dans une classe normale, le niveau d'allemand n'était pas suffisant.

Pia Oppel Aujourd'hui encore, cela reste un point sensible : quel est le niveau d’allemand que les enfants de la branche française doivent atteindre à la fin de l'école fondamentale ? Une langue qu'ils apprennent dès la première année d'école primaire. Et qu’ils seront en mesure de maîtriser suffisamment bien pour ensuite être admis au lycée à la fin de l'école fondamentale, selon le ministère de l'Éducation.

Sarah Scholtes Nein, noch einmal. Den ganzen Satz. Ich ...

Kanner [am Chouer] ... heissen.

Sarah Scholtes Pour le cycle 4.2, ils sont censés être au même niveau. Il reste à voir si cela sera le cas. Mais la question est aussi la suivante: est-ce que c'est le cas dans le système qu’on a actuellement?

Pia Oppel Sarah Scholtes fait référence ici au fait que, dans le système actuel, on suppose que les enfants obtiennent de meilleures compétences en allemand qu'en français à la fin de l'école fondamentale. Maintenant, cette hiérarchie est inversée. Mais quel écart peut-il exister entre les deux langues pour qu'il n'y ait pas de problèmes au lycée ?

Sarah Scholtes C'est donc l'une des questions à résoudre à l'avenir.

Marcio Ce dont nous avons discuté avec ma femme, et ce qui est encore le nerf de la guerre pour moi aujourd'hui, c'est qu’on ne sait pas vraiment ce qui va se passer après.

Pia Oppel Voici Marcio. C'est le père de Samuel, que nous avons rencontré brièvement quand il a parlé de son club de foot. Marcio est né au Luxembourg, ses parents viennent du Portugal. Il a fait des études d’économie et travaille dans une banque. Lui-même était un très bon élève. Jusqu'à ce qu'il entre au lycée.

Marcio Je pense que je n'ai eu qu'une seule année où je n'ai pas dû compenser l'allemand ou écrire des épreuves de rattrapage. C'était vraiment pénalisant. Une fois que la plupart des matières sont passées au français les dernières années, mes notes sont redevenues plutôt formidables.

Pia Oppel La femme de Marcio est belge. À la maison, les deux parents parlent français avec leurs trois enfants. Et quand l'école a proposé à Samuel d'apprendre à lire et à écrire en français, Marcio était ravi.

Marcio Comme moi-même, [rires] je dis depuis des années qu‘on doit adapter le système à la réalité des habitants du Luxembourg.

Pia Oppel Il a néanmoins besoin de deux semaines avec sa femme pour prendre une décision. Et à ce jour, il reste des doutes. Marcio craint que Samuel ne maîtrise pas assez bien l'allemand à la fin de l'école fondamentale. Et que puisau lycée, son fils soit face à des difficultés encore plus grandes que lui-même à l'époque.

Marcio Quel lycée garantit la continuité de cette approche ? Pour que les enfants puissent ensuite passer en septième et choisir de continuer à avoir leurs matières secondaires en français. Et à ce que je sache, à l'heure actuelle, l'offre n'est pas encore vraiment pléthorique.

Pia Oppel Samuel, comme son père avant lui, est un bon élève. Et Marcio suppose que plus tard, Samuel ira dans un lycée classique. Pour l'école Nelly Stein, c'est plutôt l'exception que la règle. L'année dernière, seulement 16 pourcent des élèves ont été orientés vers le classique. Ce n'est même pas la moitié de la moyenne nationale.

Pia Oppel Quel est le succès du projet pour vous ?

Sarah Scholtes Je pense que l'objectif d'un cycle 2 est que les enfants en sortent alphabétisés. Nous avons réussi en allemand. Je pense qu'on va aussi réussir en français. C'est clairement une partie du succès.

Pia Oppel Sarah Scholtes est convaincue que ce système peut améliorer la motivation et les performances scolaires des enfants. Ce qui après, pourrait aussi faire une différence dans l'orientation vers l'enseignement secondaire. Un autre succès du projet serait donc aussi ...

Sarah Scholtes ... qu’on envoie tout simplement moins d'enfants dans la voie préparatoire à cause du contexte linguistique.

Je pense qu’on doit être conscients du fait que ce projet ne fera pas de miracle. Ce n'est pas une panacée. Mais je pense qu’on peut enlever un obstacle sur le chemin des enfants.

Pia Oppel Quels sont les plans pour le futur?

Sarah Scholtes J'espère que cela va continuer et que ce projet va s’établir pour de bon. Parce que je pense qu'en termes d'opportunités, ça rend le système scolaire luxembourgeois tout simplement plus juste pour nos enfants. Je suis toujours convaincue que ces deux possibilités doivent coexister pour que les gens aient le choix. Mais oui, j'espère que ce ne sera pas seulement le cas pour ces quatre écoles. J'espère simplement qu’on pourra aller beaucoup plus loin. Mais cela ne dépend pas seulement de nous. Je pense que cela doit venir d'en haut.

Pia Oppel Trois autres écoles participent au projet: à Oberkorn, Dudelange et à Larochette.Cela reste cependant un projet pilote qui peut être arrêté. Son avenir dépend des décisions politiques.

En 1983, il y a déjà eu un grand débat à la Chambre à propos des inégalités et des langues à l'école. J'en ai parlé dans le deuxième épisode. La rapportrice était la députée CSV Erna Hennicot. Voici un extrait de son discours à l’époque.

Erna Hennicot Même si à première vue et sur un plan purement scolaire, cette solution semble présenter des avantages indéniables au profit des enfants étrangers. A y voir plus près, elle recèle de nombreux désavantages du point de vue de l'organisation scolaire et surtout du point de vue du brassage social. La création d'une filière francophone dès la première scolarisation aurait rapidement comme conséquence la naissance de deux écoles.

Pia Oppel L'alphabétisation en français était à l'époque équivalente à une ghettoïsation pour la plupart des partis. Mais tout le monde ne voyait pas les choses de cette façon. L'inspecteur général des écoles primaires a objecté: mieux vaut deux filières à l’école primaire et donc plus de chances d'éducation pour tous les enfants, donc moins de ségrégation sociale ensuite au lycée.

Laetitia Maillard, l'enseignante de l'EIDE qui accompagne le projet à Schifflange, argumente aujourd'hui de manière très similaire.

Laetitia Maillard Je pense qu'il est bien pire de faire des ghettos d'échec scolaire que des ghettos entre guillemets francophones.

Pia Oppel En 1983, cet argument n'a convaincu presque personne. Aujourd'hui, c'est différent. Il est partagé en grande partie.

Martine Hansen Hei ass Hansen.

Francine Closener Closener.

Gilles Baum Gilles Baum, gudde Moien.

Myriam Cecchetti Jo, hallo, Cecchetti.

Josée Lorsché Jo, Bonjour, hei ass d'Josée Lorsché.

Sven Clement Sven Clement, gudde Mëtten.

Fred Keup Allô, hei ass Keup, gudde Moien.

Pia Oppel Bonjour, je voulais vous parler de l'alphabétisation en français comme nous en avons discuté.

Pia Oppel L'ADR est aujourd'hui le seul parti à la Chambre qui s'oppose fondamentalement à une alphabétisation en français. L'argument de Fred Keup est le même que celui que nous connaissons depuis les années 80.

Fred Keup Pour notre société, c'est une catastrophe. Particulièrement ici, au Luxembourg, où on doit serrer les coudes d'une manière ou d'une autre, et avec ce système, on aura des sociétés parallèles. On aura une fragmentation de l'école publique et on ne mènera plus que des vies parallèles.

Pia Oppel Tous les autres partis ont soutenu le projet pilote quand je leur ai posé la question il y a deux ans. Ils pensent qu'il est possible de réunir les enfants au quotidien. Le luxembourgeois n'est pas considéré comme une langue d'intégration en danger. Et il y a un large consensus sur le fait que quelque chose doit être fait pour rendre le système scolaire plus juste. Doit-on donner le choix à plus d’enfants d'apprendre à lire et à écrire en allemand ou en français ? Le parti déi Lénk, à l’époque, disait que oui. Les autres ne voulaient pas encore s’engager.

Gilles Baum Je pense aussi qu’on devrait vraiment attendre les résultats, pour voir ce que cela apportera.

Pia Oppel Voici Gilles Baum du DP. Sven Clement des Pirates voudrait ...

Sven Clement ... qu’on évalue cela dans le cadre d’une politique fondée sur des preuves. Et pour ensuite en tirer la bonne leçon.

Pia Oppel Francine Closener du LSAP est du même avis.

Francine Closener Et si cela fonctionne bien, pourquoi ne pas le généraliser ? Je n'y vois pas de problème. Si suffisamment d'enseignants sont prêts à le faire. Si on a suffisamment d'enseignants.

Pia Oppel Et Martine Hansen du CSV le formule ainsi:

Martine Hansen On doit s’assurer d’obtenir une égalité des chances, parce qu’on se débrouille moins bien que tous les autres pays. Et si cela signifie que ces enfants auront de meilleures chances d'apprendre le métier de leur choix dans leur vie, mais alors il faut le faire.

Pia Oppel Une évaluation scientifique du projet est en cours. Après les élections législatives d’octobre 2023 et le changement de la majorité gouvernementale il y a toujours un consensus politique selon lequel une telle analyse est nécessaire avant de continuer. La nouvelle coalition du CSV et du DP veut tirer ses conclusions au plus tôt l'année prochaine. Et c’est au plus tôt l'année suivante, en 2026, que l'alphabétisation française pourrait être proposée dans tout le pays, selon le programme gouvernemental.

Ce qui est clair, c'est que cette décision ne dépend pas seulement de critères scientifiques.

Josée Lorsché C'est de la prudence dans le but de ne pas diviser la société. Afin de rassembler le plus de gens possible dans cette discussion.

Pia Oppel Si "le plus de gens possible" doivent être d'accord, comme l'a formulé l'ancienne députée des Verts Josée Lorsché en 2022 ... alors il faut aussi s’intéresser à l’avis de ceux qui a priori ne sont pas concernés par le problème. Un coup d'œil sur le rapport national sur l'éducation montre que l'on trouve beaucoup de ces personnes dans la ceinture dorée tout autour de la ville de Luxembourg. Et dans l'épisode suivant, mon collègue Pierre Reyland va vous emmener dans une de ces communes aisées.

Luc Schmitt Comment décrire l'école fondamentale de Kehlen ? Je pense que l'école de Kehlen a une assez bonne réputation. Je dirais que nous avons de bons enseignants ici. Cette école est vraiment super. On devrait aussi demander aux enfants. Mais c’est ce que vous faites. A mon avis, les enfants, en général, aiment aller à l'école ici.

[sonnerie du téléphone]

Mère de Stéphanie Jo Hallo

Pierre Reyland Bonjour, c’est Pierre de la radio 100.7. Donc, si j’ai bien compris, votre fille, Stéphanie n’est plus à l’école fondamentale de Kehlen. Alors, où est-elle maintenant ?

Pia Oppel Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Recherche et rédaction: Pia Oppel et Pierre Reyland. Soutenu par Tessy Troes, Jean-Claude Franck, Rick Mertens, Chris Zeien, Semir Demic et Marie Trussart. Son et arrangements musicaux: Chris Simon. Coordination: Yves Stephany. Traduction : Philip von Leipzig.

Notre musique de titre, le "Gassenhauer" du Orff-Schulwerk, a été enregistrée sous la direction de Laurent Warnier par les élèves du Conservatoire de la Ville de Luxembourg. Merci à Joé Alff, Constantin Barbu Ravoux, Michael Calnan, Felix Dunkel, Laurie Krier, Ina Molakava, Lola Schleicher, Julian Seredynski, Youqian Lulu Pang, Louis Thill et Eloïse Twimumu.